Athènes, le 20 juillet 2017
Michel Politis (*)
GrèceHebdo a interviewé Michel Politis sur la théorie et la pratique de la traduction, la francophonie et les buts du Département de Langues Étrangères, de Traduction et d'Interprétation crée à Corfou en 1986.
Qu’est
qu’on entend par le terme “traduction” ? Quels sont les processus
impliqués dans le travail du traducteur et par quels connaissances se
dirige-t-on vers cette démarche ?
Selon nous, la traduction est un
processus de communication très complexe qui se situe non seulement au
niveau linguistique, mais aussi au niveau cognitif. En tant qu’acte
cognitif, elle implique la mobilisation des ressources cognitives du
sujet traducteur, et plus particulièrement de son système mnésique. Lors
de la lecture du texte à traduire le système oculaire du traducteur
capte les informations exposées sur le papier ou sur l’écran, qui
passent alors par le «registre sensoriel» dans son système mnésique, où
elles font l’objet d’un traitement spécifique. Une fois dans le système
mnésique, ces informations sont traitées dans la mémoire de travail, un
sous-système mnésique qui joue un rôle fondamental, en vue de produire
la traduction de ce passage. Pour la réalisation de la traduction d’un
passage, la mémoire de travail fait appel aux informations issues du
texte à traduire et à celles déjà stockées dans la mémoire à long terme.
Ces dernières peuvent être de nature linguistique mais aussi de nature
procédurale, fruit de l’entraînement, de l’expérience, voire de
l’expertise du traducteur. Si celles-ci sont insuffisantes pour la
production de la traduction demandée, le traducteur fait appel à des
informations extrinsèques, issues d’une recherche terminologique ou
documentaire, voire de la consultation d’experts.
La réalisation de ce traitement suppose la mobilisation de
plusieurs ressources cognitives du sujet traducteur, car il s’agit d’un
processus qui requiert une multitude de prises de décisions, en fonction
des éléments contenus explicitement ou implicitement dans le texte à
traduire, de la situation de communication dans laquelle s’insère l’acte
traductionnel, du bagage cognitif du traducteur, etc. Parfois ces
décisions sont également influencées par la réaction émotive du
traducteur provoquée par la lecture du texte à traduire. Ce genre de
réactions ne se limitent pas aux textes littéraires, mais peuvent
également se manifester lors de la traduction d’autres types de textes à
forte connotation émotive [1].
En tant qu’acte linguistique, la traduction est le produit du
processus cognitif complexe précité, une énonciation dans la langue
cible de ce qui a été déjà énoncé dans une langue source. Une fois le
sens du texte de départ saisi par le traducteur, celui-ci cherche dans
la langue cible les moyens linguistiques adéquats pour re-exprimer le
contenu sémantique, stylistique et pragmatique du texte de départ en
tenant compte des diverses contraintes imposées chez le traducteur. Ces
contraintes de caractère en principe extrinsèque peuvent l’amener à
viser à produire un texte le plus proche possible au contenu du texte de
départ ou un texte s’adaptant aux besoins fonctionnels du lectorat
cible.
Pourriez-vous nous parler de vos rapports avec la francophonie ? Que représente la langue française pour vous ?
Mes rapports avec la francophonie
datent de ma très tendre jeunesse. Marqué par la personnalité de Suzanne
Lountzi et son attitude à mon égard, j’ai commencé petit à petit à
apprendre le français et à bâtir ma propre image de la France, du monde
francophone. Cet attachement à la culture française m’a poussé à faire
toutes mes études à Aix-en-Provence, une ville merveilleuse de la France
méridionale. Bien que mon premier contact avec le français académique
ne fût pas facile, en travaillant très dure, j’ai pu faire des études de
Sciences Po, de Relations Internationales et de Géographie
d’Aménagement du Territoire. Ces études, les gens que j’ai rencontrés et
les voyages que j’ai faits dans ce que l’on qualifie de « France
profonde » m’ont permis de bien connaître ce pays et de forger une image
de lui qui me suit à chaque pas. Bien que profondément Grec, je ressens
un respect pour ce pays qui m’a accueilli et qui m’a offert, en fait,
les moyens pour bâtir ma propre vie.
Depuis 1988, j’enseigne la traduction
économique, juridique et politique du français vers le grec à
l’Université ionienne et depuis les années 90 la traduction générale. Ce
poste d’enseignant m’a permis de garder contact avec la réalité
francophone et de diffuser auprès de mes étudiants un savoir dont les
racines remontent à l’époque de mes propres études en France. En effet,
ce que j’enseigne à l’Université est profondément marqué par le contenu
des cours que j’ai suivi à l’IEP d’Aix-en-Provence, à savoir les
institutions politiques, le droit et les relations internationales,
l’économie, la géographie économique et politique, etc.
La connaissance de la réalité
française et de la mentalité des Français m’ont permis de garder contact
ou de nouer de nouveaux rapports avec des collègues Français mais aussi
Belges, Québécois et Suisses, ce qui m’a permis de soutenir plusieurs
initiatives « francophones ». Parmi elles, je peux citer la création, en
2003,du premier master conjoint franco-hellénique (« Sciences de la
Traduction - Traductologie et Sciences cognitives ») en collaboration
avec l’Université de Caen, le colloque « Traductologie : une science
cognitive », en 2006, et ma collaboration avec la revue META de
l’Université de Montréal, en 2007. Je tiens à souligner et à remercier
une fois de plus tous ceux qui ont contribué à la réussite de ces
projets, mais plus particulièrement Christine Durieux, Jean Vivier,
André Clas et Alexis Michel avec qui j’ai partagé des moments
inoubliables.
Mon
amour pour la langue française et les cultures francophones m’ont amené
à soutenir plusieurs manifestations « francophones », dont les plus
importantes sont les « Marathons de lecture pour la francophonie » qui
réunissent chaque année des dizaines de groupes de lecteurs un peu
partout en Grèce. En reconnaissance pour mes services rendus à la
culture française, l’État français m’a honoré en me nommant en 2004
Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques et en 2014 Officier dans
l’Ordre des Palmes académiques.
Comment pourriez-vous décrire
en quelque mots l’histoire et les buts du Département de Langues
Étrangères, de Traduction et d'Interprétation de l'Université ionienne ?
Le Département de Langues Étrangères, de
Traduction et d'Interprétation (DLETI) de l'Université ionienne fut
parmi les premiers départements de l’Université ionienne à être créé. Il
fonctionne depuis l’année académique 1986-1987 faisant suite au KEMEDI
(Centre de Traduction et d’Interprétation), institution académique créée
pour former les premiers traducteurs et interprètes hellénophones en
vue de l’adhésion de la Grèce à la CEE. Pour la création du KEMEDI, les
responsables de l’époque se sont servi du modèle académique de l’École
de Traduction et d’Interprétariat de l’Université de Genève.
Riche
de cet héritage, le DLETI a poursuivi l’œuvre du KEMEDI sur des
fondements académiques beaucoup plus solides. Dans un premier temps, le
DLETI formait uniquement des traducteurs hellénophones trilingues, qui
devaient dès le début de leurs études maîtriser, à part le grec, deux
autres langues étrangères parmi l’anglais, le français et l’allemand.
Puis, au début des années 90, le DLETI a ajouté un parcours de formation
d’interprètes de conférence hellénophones trilingues.
Bien que les cours du cursus ont
changé depuis pour des raisons diverses, les fondements du profil
académique du cursus du DLETI n’ont pas réellement changé, bien que la
crise économique nous a obligé à y porter des changements majeurs.
Le parcours de formation de
traducteurs est toujours organisé en deux cycles : le premier, qui
s’étend en deux ans, vise l’initiation des étudiants au monde de la
traduction et le second à leur spécialisation en des domaines comme la
traduction économique, juridique et politique, la traduction technique
et la traduction littéraire. Le changement majeur dans ce parcours fut
la suppression du semestre obligatoire pour tous les étudiants dans une
université étrangère (7e semestre), aux frais de l’État. Ce semestre
permettait aux étudiants de s’intégrer dans un milieu social étranger,
de s’imprégner de la culture du pays d’accueil et d’approfondir leurs
connaissances linguistiques, éléments nécessaires pour saisir le sens
profond des textes produits dans ce pays et par la suite les
traduire. Les étudiants du DLETI qui désirent poursuivre le parcours
d’interprétation d’une durée de deux ans doivent se présenter à des
examens internes organisés entre la seconde et la troisième année.
Autrefois, durant les années 90, aux examens finaux étaient présents des
représentants des services d’interprétation du Parlement européen, du
Conseil et de la Commission qui choisissaient directement les meilleurs
diplômés pour couvrir les besoins de leur service.
Enfin, dans le cadre du DLETI
fonctionne depuis 1998 le Master « Science de la Traduction » disposant
actuellement d’une seule spécialisation (Traductologie). Autrefois, de
2003 jusqu’en 2010 fonctionnait également le Master franco-hellénique
« Sciences de la Traduction – Traductologie et Sciences cognitives »,
une collaboration de l’Université ionienne et de l’Université de Caen
(France).
[1] Politis Michel (2017) « Le traducteur en tant qu’entité cognitive », Terminology Coordination, DG Traduction du Parlement européen, Luxembourg
(*)
Michel Politis est
professeur de Traduction Économique, Juridique et Politique (fr-el) et
directeur du Laboratoire de Traduction Juridique, Économique, Politique
et Technique au Département de Langues Étrangères, de Traduction et d'Interprétation (DLETI) de l'Université ionienne. Pour son action en faveur de la Francophonie il a été nommé en 2004 Chevalier dans l'Ordre des Palmes Académiques et en 2014 il a été promu Officier dans l'Ordre des Palmes Académiques.
Interview accordée à Magdalini Varoucha
Δεν υπάρχουν σχόλια:
Δημοσίευση σχολίου