Nouvel An (Cartes de vœux du)
(D’après « Fêtes et coutumes populaires », paru en 1911)
Source: La France pittoresque
Publié le dimanche 3 janvier 2016, par
Si l’usage des étrennes nous vient des Romains (les premiers qui aient sacrifié à la déesse Strena), celui des cartes de vœux agrémentées de quelques mots de politesse ou vierges de toute mention, et envoyées aux personnes avec qui l’on a eu commerce d’amitié ou d’affaires pendant l’année, vient de l’Extrême-Orient et prend ses marques en France au début du XVIIIe siècle
Les Célestiaux se servaient bien avant nous de ces cartes autrefois dénommées cartes de visite ;
seulement, chez eux, les cartes étaient de grandes feuilles de papier
de riz, dont la dimension augmentait ou baissait suivant l’importance du
destinataire et au milieu desquelles, avec des encres de plusieurs
nuances, on écrivait les nom, prénoms et qualités de l’envoyeur. Il
paraît que, quand la carte était à l’adresse d’un mandarin de 1ère
classe, elle avait la dimension d’un de nos devants de cheminée !
La distribution des cartes de vœux à Stuttgart, dans le Wurtemberg,
était autrefois le prétexte d’une scène piquante : pendant l’après-midi
du premier de l’An, sur une place publique, se tient une sorte de foire
ou de bourse aux cartes de visite. Tous les domestiques de bonne maison
et tous les commissionnaires de la ville s’y donnent rendez-vous, et là,
grimpé sur un banc ou sur une table, un héraut improvisé fait la criée
des adresses.
A chaque nom proclamé, une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet, et le représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées peut en quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de même, et, au bout de peu d’instants, des centaines, des milliers de cartes sont parvenues à leur destination, sans que personne se soit fatigué les jambes.
L’usage des cartes de visite du Nouvel An est apparu assez tard chez nous. Jusqu’au XVIIe siècle, les visites se rendaient toujours en personne. On peut noter cependant, comme un acheminement vers les cartes, l’usage dont nous parle Lemierre dans son poème des Fastes et qui était courant vers le milieu du grand siècle. A cette époque, des industriels avaient monté diverses agences, qui, contre la modique somme de deux sols, mettaient à votre disposition un gentilhomme en sévère tenue noire, lequel, l’épée au côté, se chargeait d’aller présenter vos compliments à domicile ou d’inscrire votre nom à la porte du destinataire.
Mais un temps vint où le gentilhomme lui-même fut remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous Louis XIV, dans les dernières années de son règne, comme l’atteste ce sonnet-logogriphe du bon La Monnoye :
Est-ce l’abus qu’on faisait des cartes de visite qui décida
les conventionnels à supprimer le premier de l’An ? Ou fut-ce la vanité
des vœux qu’on y déposait ? Toujours est-il qu’abolie en décembre 1791,
la coutume du Jour de l’An ne fut rétablie que six ans après, en 1797.
Nos pères conscrits, qui ne barguignaient pas avec les délinquants,
avaient décrété la peine de mort contre quiconque ferait des visites,
même de simples souhaits de jour de l’An. Le cabinet noir fonctionnait,
ce jour-là, pour toutes les correspondances sans distinction. On ouvrait
les lettres à la poste pour voir si elles ne contenaient pas des
compliments.
Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des coutumes ? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la tribune. « Citoyens, s’écria-t-il, assez d’hypocrisie ! Tout le monde sait que le Jour de l’An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis de joues, de fatigantes et avilissantes courbettes... »
Il continua longtemps sur ce ton. Le lendemain, renchérissant sur ces déclarations ampoulées, le sapeur Audoin, rédacteur du Journal Universel, répondit cette phrase mémorable : « Le Jour de l’An est supprimé : c’est fort bien. Qu’aucun citoyen, ce jour-là, ne s’avise de baiser la main d’une femme, parce qu’en se courbant, il perdrait l’attitude mâle et fière que doit avoir tout bon patriote ! » Le sapeur Audoin prêchait d’exemple. Cet homme, disent ses contemporains, était une vraie barre de fer. Il voulait que tous les bons patriotes fussent comme lui ; il ne les imaginait que verticaux et rectilignes.
Mais enfin le sapeur Audoin et son compère La Bletterie n’obtinrent sur la tradition qu’une victoire éphémère. Ni le calendrier républicain ni les fêtes instituées par la Convention pour symboliser l’ère nouvelle ne réussirent à prévaloir contre des habitudes plusieurs fois séculaires. Les institutions révolutionnaires tombèrent avec les temps héroïques qui les avaient enfantées. Le premier de l’An fut rétabli. Il dure encore.
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A chaque nom proclamé, une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet, et le représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées peut en quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de même, et, au bout de peu d’instants, des centaines, des milliers de cartes sont parvenues à leur destination, sans que personne se soit fatigué les jambes.
L’usage des cartes de visite du Nouvel An est apparu assez tard chez nous. Jusqu’au XVIIe siècle, les visites se rendaient toujours en personne. On peut noter cependant, comme un acheminement vers les cartes, l’usage dont nous parle Lemierre dans son poème des Fastes et qui était courant vers le milieu du grand siècle. A cette époque, des industriels avaient monté diverses agences, qui, contre la modique somme de deux sols, mettaient à votre disposition un gentilhomme en sévère tenue noire, lequel, l’épée au côté, se chargeait d’aller présenter vos compliments à domicile ou d’inscrire votre nom à la porte du destinataire.
Mais un temps vint où le gentilhomme lui-même fut remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous Louis XIV, dans les dernières années de son règne, comme l’atteste ce sonnet-logogriphe du bon La Monnoye :
Souvent, quoique léger, je lasse qui me porte ; Un mot de ma façon vaut un ample discours ; J’ai sous Louis-le-Grand commencé d’avoir cours, Mince, long, plat, étroit, d’une étoffe peu forte. Les doigts les moins savants me traitent de la sorte ; Sous mille noms divers, je parais tous les jours ; Aux valets étonnés je suis d’un grand secours ; Le Louvre ne voit pas ma figure à sa porte. Une grossière main vient la plupart du temps Me prendre de la main des plus honnêtes gens. Civil, officieux, je suis né pour la ville. Dans le plus dur hiver, j’ai le dos toujours nu, Et, quoique fort commode, à peine m’a-t-on vu Qu’aussitôt négligé je deviens inutile. |
Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des coutumes ? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la tribune. « Citoyens, s’écria-t-il, assez d’hypocrisie ! Tout le monde sait que le Jour de l’An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis de joues, de fatigantes et avilissantes courbettes... »
Il continua longtemps sur ce ton. Le lendemain, renchérissant sur ces déclarations ampoulées, le sapeur Audoin, rédacteur du Journal Universel, répondit cette phrase mémorable : « Le Jour de l’An est supprimé : c’est fort bien. Qu’aucun citoyen, ce jour-là, ne s’avise de baiser la main d’une femme, parce qu’en se courbant, il perdrait l’attitude mâle et fière que doit avoir tout bon patriote ! » Le sapeur Audoin prêchait d’exemple. Cet homme, disent ses contemporains, était une vraie barre de fer. Il voulait que tous les bons patriotes fussent comme lui ; il ne les imaginait que verticaux et rectilignes.
Mais enfin le sapeur Audoin et son compère La Bletterie n’obtinrent sur la tradition qu’une victoire éphémère. Ni le calendrier républicain ni les fêtes instituées par la Convention pour symboliser l’ère nouvelle ne réussirent à prévaloir contre des habitudes plusieurs fois séculaires. Les institutions révolutionnaires tombèrent avec les temps héroïques qui les avaient enfantées. Le premier de l’An fut rétabli. Il dure encore.
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